UNE ALGUE 100% EFFICACE CONTRE LE MILDIOU CRÉÉE PAR UNE START-UP BORDELAISE

Une algue 100% efficace contre le mildiou créée par une start-up bordelaise
Laurent de Crasto devant son bouillon de culture.   Photo S.M.
Par Stéphane Moreale, publié le , modifié .

Fondée en 2015, la start-up bordelaise Immunrise développe une application à la viticulture des propriétés antibiotiques d’une micro-algue.

Quand Laurent de Crasto débouche le tube à essai, une forte odeur de truffe vient piquer le nez: c’est la signature de la micro-algue déshydratée. Ce micro-organisme d’aspect brunâtre pourrait révolutionner le monde de la viticulture. Identifiée dans les eaux bretonnes par les deux fondateurs d’Immunrise, l’ingénieur et œnologue Laurent de Crasto (40 ans) et le chercheur à l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure (ENS) Lionel Navarro (38 ans), cette algue est surprenante.

«On voulait développer des solutions de biocontrôle alternatives aux pesticides de synthèse dans l’agriculture, confie Laurent de Crasto dans les bureaux d’Immunrise à Pessac (la start-up a son siège et son unité de recherche à Paris). On savait où chercher: l’océan, dont le potentiel biologique est totalement sous-estimé». C’est là que les deux chercheurs ont identifié deux micro-algues aussitôt brevetées: l’une aux effets biostimulants (elle stimule le patrimoine génétique d’une plante pour la rendre résistante aux maladies) ; l’autre avec un effet direct sur les champignons pathogènes de la vigne. «Elle produit des molécules antibiotiques, souligne Laurent de Crasto. Cela ne marche pas sur tous les champignons, mais le développement du botrytis est freiné à 50%, le mildiou à 100% et pour les maladies du bois, jusqu’à 90%.»
Bientôt une ferme aquacole

L’algue «poussant» naturellement en surface en présence de lumière, Laurent de Crasto et Lionel Navarro ont choisi le bassin d’Arcachon pour implanter une unité de production: à proximité du plus vaste vignoble de France, le Bordelais. Le projet sera lancé le mois prochain avec la création d’une filiale dédiée (ce qui ouvrira à Immunrise les subventions de la Région). Le président Alain Rousset soutient le projet. Et France AgriMer leur a alloué mercredi dernier une aide de 150.000 euros pour lancer les phases de tests, en partenariat avec l’Inra Bordeaux (l’Institut national de la recherche agronomique qui apporte son expertise et ses serres) et le Cesamo (Institut des sciences moléculaires de l’université de Bordeaux) spécialisé dans l’identification des molécules. Les défis sont multiples.

D’abord, produire la micro-algue en quantité pour alimenter en biopesticide le vignoble bordelais et cognaçais. C’est l’objet de la ferme aquacole qui sera installée «probablement près de Biscarosse», au sud du bassin d’Arcachon.

Isolée de ce dernier (pour éviter toute contamination), elle comprendra une vingtaine de bassins. Ensuite, «mettre en place un procédé de destruction de l’algue pour libérer les molécules actives sur les champignons, précise Laurent de Crasto. Ces molécules se dégradent au bout de 4-5 jours: une de nos priorités avec l’Inra sera d’augmenter la rémanence du produit, pour traiter tous les 15-21 jours. Puis il faudra développer l’application industrielle de notre découverte.» Outre les deux fondateurs, la start-up compte deux chercheurs à son siège parisien. Elle va recruter deux autres chercheurs à Bordeaux dans son unité de développement.

Le défi de la commercialisation

Les essais vont se poursuivre dans les serres de l’Inra avant des tests in vivo dès avril 2017 «pour déterminer le dosage des molécules garantissant leur efficacité dans le temps. On a encore deux à trois ans de travail devant nous.» Avant un dernier défi: l’autorisation de mise sur le marché. «Un vrai débat doit s’amorcer sur la réglementation régissant les pesticides d’origine biologique. La question n’a pas encore été tranchée par Bruxelles. Aujourd’hui le biopesticide n’est pas classé comme pesticide de synthèse en dépit des pressions des lobbies. Mais il n’est pas non plus classé comme agent fertilisant, dont l’accès sur le marché est simple, assure Laurent de Crasto. Si la réglementation des biopesticides rejoint celle des pesticides de synthèse, les start-up comme Immunrise ne pourront pas suivre: aujourd’hui, pour référencer un produit de synthèse, il faut 2 M€ de développement et attendre 7 à 8 ans. Si la start-up ne peut accéder rapidement au marché, elle devra vendre sa découverte aux grands groupes de l’agrochimie.»