23 décembre 2016 / Marie Astier (Reporterre) https://reporterre.net/Une-etude-scientifique-conclut-aux-effets-benefiques-globaux-de-l-agriculture
Pour la première fois en France, une étude quantifie les avantages et les inconvénients du bio dans les domaines de l’environnement, de la santé et de l’impact social. Le résultat ? Les bienfaits de l’agriculture bio sont confirmés.
Le tableau récapitulatif du rapport est clair : la majorité des cases sont vert foncé. La couleur signale les impacts positifs de l’agriculture biologique. Ils sont confirmés dans les domaines de la création d’emplois, de la moindre pollution de l’eau par les nitrates et les pesticides, de la plus faible consommation d’énergie à l’hectare, de l’impact réduit sur la biodiversité, de l’absence de maladies dues aux pesticides, ou encore de sa préférence pour le plein air, qui favorise le bien-être animal.
Vous avez sans doute déjà entendu ces arguments en faveur de l’agriculture biologique. Mais ce rapport est pourtant inédit : c’est la première fois que l’on tente, en France, de quantifier précisément ces bénéfices, afin de les rendre visibles tant pour le consommateur que pour le décideur politique.
Commandé par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, il y a un peu plus d’un an à l’Itab (Institut technique de l’agriculture biologique), le rapport Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ? a été présenté par ses auteurs Natacha Sautereau et Marc Benoît, le 25 novembre dernier.
« Il y a externalité lorsque l’activité de production d’un agent a une influence non marchande (positive ou négative) sur le bien-être d’un autre sans qu’aucun ne reçoive ou ne paye une compensation pour cet effet. Les externalités ne sont pas directement visibles et mesurables par le consommateur », explique la synthèse du document. Les deux chercheurs ont pris en compte à la fois les impacts positifs de l’agriculture biologique pour la société et ses effets négatifs, le tout en comparaison avec l’agriculture conventionnelle.
« Une contamination généralisée de ses masses d’eau par les pesticides »
Pour procéder à cette évaluation, ils ont rassemblé une bibliographie de 280 références scientifiques et complété leur analyse par la consultation d’une vingtaine de chercheurs. « Cette étude touche à des domaines très divers, qui vont de la microbiologie des sols à l’épidémiologie en passant par l’économie, explique Natacha Sautereau. Nous avons donc sollicité des experts très différents. » Les externalités ont été regroupées en trois grandes catégories : environnement, santé et performances sociales. Pour chaque partie, la première étape est un essai de chiffrage global : combien d’animaux sont affectés par les pesticides ? Quelles maladies ont un lien avec l’exposition aux pesticides ? Combien d’emplois supplémentaires le bio crée-t-il ? Puis, pour chaque sujet, les auteurs ont cherché les études permettant d’établir un difficile chiffrage économique : quelle valeur donner à la vie d’un oiseau, au service de pollinisation des abeilles, aux gaz à effet de serre non émis ou à un sol en bonne santé ?
Exemple de cette démarche, l’eau, un sujet sur lequel les chercheurs ont pu aisément trouver de nombreuses études. Les chiffres rassemblés dans la synthèse du rapport sont éloquents : « La France connaît une contamination généralisée de ses masses d’eau par les pesticides […] détectés dans 90 % des points de mesures, ainsi que par l’azote, présent sous forme de nitrate […] dans 83 % des points de suivi des eaux de surface. » En outre, « ces pollutions agricoles se sont accentuées dans quasiment toutes les régions », souligne le document. Près de la moitié des sources d’eau potable doivent être dépolluées pour être consommées. Les surcoûts de la pollution de l’eau en France aux nitrates et pesticides ont été évalués entre 940 et 1.490 millions d’euros par an, notent les auteurs du rapport. Ainsi, ils calculent que la société « économise » de 20 à 46 euros par an et par hectare de grande culture (l’unité de comparaison qu’ils ont choisie) en bio plutôt qu’en conventionnel.
Autres chiffrages dans cette partie sur l’environnement, ceux liés à la perte de biodiversité, due entre autres aux pesticides, à la contamination des eaux, ou à la destruction de certains milieux. Le bio permettrait par exemple de diminuer les mortalités d’oiseaux et de poissons, évitant à la société un coût de 43 à 78 euros par hectare de grande culture chaque année. Concernant la pollinisation, le bénéfice créé par une agriculture qui limite leur déclin est comparé au prix d’une location de ruche : 300 euros l’hectare pour des arbres fruitiers dont la production dépend entièrement des abeilles.
Les consommateurs bio ont moins de problèmes de surpoids
La deuxième partie traite des impacts sur la santé. Uniquement pour les cancers (d’autres maladies, comme Parkinson, ont un lien avéré avec les pesticides) pouvant être imputés aux pesticides, l’hypothèse basse est de 52 euros par hectare et par an, et la plus haute de 262 euros. Des dépenses qui seraient évitées en agriculture biologique. « Dans le domaine de la santé, c’est là que les chiffrages sont les plus élevés, mais aussi que les incertitudes sont les plus grandes, c’est pourquoi nous avons eu du mal à produire des résultats chiffrés », explique Natacha Sautereau.
Pour certains sujets, les chercheurs n’ont donc pas pu quantifier les effets, mais soulignent un moindre impact de l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle. Ainsi, l’élevage bio consomme significativement moins d’antibiotiques que le conventionnel, contribuant à limiter le développement de l’antibiorésistance.
Concernant l’effet bénéfique de la nourriture bio sur la santé, « les débats […] sont récurrents », indique le document. La seule étude en France sur un grand nombre de personnes mangeant bio est encore en cours. Les premiers résultats « montrent que les consommateurs de produits bio connaissent moins de problèmes de surpoids et d’obésité, et de pathologies associées ». Mais, « ils ont généralement un mode de vie plus sain », précise l’analyse. En outre, les risques d’allergie sont réduits : le bio autorise 47 additifs contre 300 en conventionnel.
Enfin, du côté de l’impact social de la bio, la création d’emplois est le plus facilement chiffrable. Trois ans après leur conversion, la majorité des fermes bio ont augmenté le volume de travail. Le rapport évalue ce bénéfice en emploi entre 10 et 18 euros par hectare de grande culture chaque année.
Le rôle des fermes bio dans le renforcement du lien social (Amaps, circuits courts) dans les territoires est aussi souligné, tout comme une amélioration du bien-être animal grâce à la limitation des mutilations.
Tout au long du rapport, un seul impact réellement négatif est noté : les moindres rendements du bio pourraient obliger à étendre les surfaces cultivées.
Des pistes pour améliorer les soutiens publics à l’agriculture biologique
« Cette démarche de chiffrage économique peut être critiquée », reconnaît Nathalie Sautereau. En effet, comment donner une valeur économique à la vie humaine, au bien-être animal ou à la préservation de la biodiversité ? Et comment comparer la valeur d’une abeille à celle d’une eau non polluée ? Les auteurs ne cachent pas les limites de l’exercice, dues également au manque de données, ou à la diversité des systèmes de culture : tous ne se ressemblent pas à l’intérieur du bio ou du conventionnel.
Ce rapport se veut donc, surtout, un outil d’aide à la décision politique. « Un soutien financier à l’agriculture biologique est largement justifié sur la base de ce rapport », estime Marc Benoît, l’un des auteurs. Ayant assisté à sa présentation, le conseiller du ministre de l’Agriculture chargé du bio, Luc Maurer, précise : « Avec ce rapport, le ministre veut faire deux choses : mieux faire reconnaître la nécessité de développer l’agriculture biologique dans la future politique agricole commune de l’Union européenne, qui commencera en 2020 et qui se prépare dès maintenant ; et identifier les priorités de recherche en agriculture biologique. »
Le document ouvre donc des pistes pour améliorer les soutiens publics à l’agriculture biologique. Il souligne que les consommateurs acceptant de payer un peu plus cher pour les produits bio, ils bénéficient d’une « certaine rémunération par le marché », mais que cela « ne permet pas d’atteindre un niveau satisfaisant de financement des services à caractère public ». Un soutien public mieux organisé pourrait même permettre, éventuellement, de baisser les prix et favoriser un meilleur accès de tous aux produits bio. Parmi les outils envisagés : des taxes sur les intrants polluants (pesticides et engrais chimiques) ou une rémunération des agriculteurs liée aux services environnementaux de leur exploitation.